Gabriel Dumont |
édité par Denis Combet
This account from Gabriel Dumont was given by the Manitoba Provincial Archives [M 610, F1] to the Société Historique de Saint-Boniface in 2001. I am working on a bilingual critical edition of this document with professor Lise Gaboury-Diallo (Collège Universitaire de Saint-Boniface). It will also include accounts from other metis who participated in the 1885 events. We are giving the original version in French of the following documents:
Gabriel Dumont : soixante-cinq ans (il avait quarante-sept à la Rébellion), fils d'Isodore Dumont ; à douze ans il est à la rencontre avec les Sioux, il tirait. Né à Winnipeg, puis emmené en très bas âge au fort Pitt où il resta jusqu'à dix ans, il retourne alors, très jeune, avec ses parents, à Winnipeg. Pendant la rebellion de 1870, il était précisément campé à Batoche. Avant de partir de Winnipeg, il avait dit à Riel : «Si tu fais quelque chose, envoie-moi chercher, et je viendrai avec les Sauvages» (1) .
«Une fois, dit-il, j'ai tué un Pied Noir en me battant pour les Cris (2) . Ce Pied [Noir], vois-tu, était le plus hardi d'eux-autres ; il s'avançait tout seul vers nous. Je fonce sur lui, j'avais un bon coureur, il se sauve ; mais je le rejoins comme un buffalo. Quand je fus presque côte à côte, je lui darde le canon de mon fusil sous les reins et en un temps je lâche le coup. Il culbute en avant devant la tête de mon cheval et celui-ci, au grand galop, surpris par cet obstacle imprévu, bondit par dessus avec tant de violence, que je fus presque jeté en arrière. Le poney du Pied Noir galoppait toujours à côté de moi. Je passe ma jambe par-dessus le cou de mon cheval et je saute à terre en m'accrochant à la bride du poney démonté. Puis je reviens vers le pauvre Pied Noir ; il était tué raide, et cela me fit de la peine, car il ne m'avait jamais fait du mal.»
«Mais alors, dis-je à Gabriel Dumont, pourquoi vous battiez-vous contre eux ?»
« Voici pourquoi», répond-il. Et il raconte : «Nous étions campés six ou sept tentes de Métis, auprès d'un campement de Cris avec lesquels nous étions en bons termes. Un jour, tandis que je n'étais pas là, un Cri vient à ma tente, près de laquelle un bon cheval était à l'enfarge (3) ; c'était une enfarge de fer fermée au cadenas. Le Cri voulait avoir mon cheval pour aller se battre contre des Pieds Noirs qui étaient dans les environs, et il demanda le cheval à ma femme (4). Celle-ci refusa. Alors le Cri dit : « Si tu n'ouvres pas l'enfarge, je tue le cheval». La femme de Gabriel s'exécuta.
Quand Gabriel revient, il était fort en colère d'apprendre la chose. Le soir-même, il y avait une danse de guerre chez les Cris. Il y va : «J'entrai dans la loge, dit-il, et je m'assis sans rien dire avec les jeunes. Quand ils eurent fini de danser, je me levai, j'allai parmi les guerriers et je me pris à dire, Amis ! Amis ! je vais vous raconter ce que j'ai fait ! J'ai fait ceci...j'ai fait cela...je me suis battu ici où on a admiré mon courage, puis là, où j'ai mis un ennemi en fuite. Tous mes ennemis me craignent et tous mes amis disent que je suis le meilleur pour courir à cheval et pour tirer le fusil,etc,etc. Et bien aujourd'hui vous m'avez fait une chose qui m'a offensé. Pendant que je n'étais pas là, vous êtes venu prendre mon cheval. C'est pas de valeur de faire peur à une femme, nous avons toujours été bien ensemble, et ce qu'on fait à elle, c'est comme si c'était à moi. Eh bien ! je vous le dis, je ne veux pas souffrir ça».
Les Cris lui font observer qu'ils n'ont pas eu dessein de l'offenser ; que c'est leur loi ; que d'après leur loi, eux et leurs amis et alliés sont obligés de fournir leurs meilleurs chevaux quand il faut combattre l'ennemi. «Je ne m'occupe pas de votre loi», dit Gabriel. «Si vous me verrez combattre avec vous, il y en a qui passent devant moi pour aller courir sur l'ennemi, alors vous pouvez prendre mon cheval ; mais si je suis toujours le premier pour foncer sur l'ennemi, qu'alors il n'y en ait pas un qui viennent toucher à mon cheval quand je ne suis pas là !»
Le lendemain, ajouta Gabriel Dumont, les Cris se rencontrèrent avec les Pieds Noirs ; j'allai me battre avec eux et c'est à cause de ce que j'avais dit la veille que je courus le Pied Noir et que je le tuai ; pour faire voir aux Cris que j'étais meilleur qu'eux afin qu'ils me respectent».
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Un jour, il était en reconnaissance à la chasse au Buffalo ; pour monter sur une butte, il laisse son cheval en bas en l'attachant par un pied au licole. Il ne montait jamais sur le sommet de la butte, mais sur le versant, parmi des roches quand il y en avait, afin d'y être dissimulé. Ce jour-là, il se place donc parmi des roches, se glissant à plat ventre. Il aperçoit, sur une colline opposée, une tache allongée verticalement qui devait être un être vivant ; mais était-ce un homme ou un loup assis sur son derrière ? Il se dit, si ça s'écrase, c'est un homme, si ça s'allonge ce sera un loup. Il attend donc. La tache, en remuant, s'écrase. C'était un homme. Il attend longtemps, ça ne bougeait pas. Il se dit, mon homme dort. Je vais aller le voir. Il redescend, prend son cheval, fait le tour des buttes, arrive au sommet de celle où l'homme dormait, mais il se dit : si je vais comme cela, il aura avantage sur moi ; donc il descend de son cheval qu'il laisse de nouveau en bas. Il s'avance ; il aperçoit le dormeur dont le fusil était par terre à son côté ; Gabriel, lui aussi, avait son fusil à la main, prêt à se défendre, mais comment l'aborder ? Il se disait, si je lui fais peur en le réveillant, il va sauter sur son fusil et me tuer. Alors il s'avance à pas de loup jusque vers lui, ramasse son fusil, le soulève doucement, se retire d'un pas et pose le fusil par terre en arrière. Maintenant, il n'y avait plus de danger. Gabriel se demande seulement de quelle façon originale il va le réveiller. Il discute en lui-même, après il se dit : après tout, c'est un ennemi, je vais le fourailler ; il portait un gros fouet de cuir matté ; il le cingle en plein corps. L'homme, qui était un Sauvage de la tribu des Gros-Ventres, se trouva subitement à genoux devant lui, le visage exprimant un effroi indicible. Mais Gabriel se met à rire et le Gros Ventre rit.
Après quelques instants,[ il dit] qu'il ne veut pas lui faire de mal ; Gabriel le fait asseoir à côté de lui, mais du côté opposé au fusil, prend sa pipe, l'allume et la lui offre. Le Sauvage reprend confiance et fume avec délice. Cependant, au bout d'un moment, tout son corps se met à trembler, au point qu'il ne pouvait plus tenir la pipe, et il fait comprendre par signes à Gabriel combien il lui a fait peur. Enfin, Gabriel se lève et lui redonne son fusil, et ils se dirigent ensemble vers le cheval de Gabriel ; arrivés là, il fallait se baisser pour détacher le pied de son cheval, mais la crainte le prit ; «Les Sauvages sont si lâches, dit-il, j'eus peur que pendant que je me baisserai, il me tirât son coup de fusil», et il fit signe au Gros-Ventre d'aller lui-même d'abord à son propre cheval qui était aussi sur le penchant du côteau. Le Sauvage obéit, et à peine sur sa bête, il partit à toute vitesse comme si le diable le poursuivait, et Gabriel partit ensuite de son côté.
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Une autre fois, (il était jeune), il aperçoit dans la prairie un homme de Sang. Ils foncent l'un sur l'autre, chacun croyant sans doute que l'autre allait être effrayé et tourner bride,«mais quand je fus un peu près, dit Gabriel, je vis bien à ses yeux qu'il foncerait jusqu'au bout». Le Sauvage était armé d'une arbalète (note), mais leur rencontre fut assez imprévue et rapide pour qu'il n'ait pas le temps de sortir une flèche de son carquois. Voyant cela, Gabriel ne voulut pas lui faire de mal et songea seulement à le terrasser. Leurs chevaux se heurtèrent les épaules. L'homme Sang ne put arrêter son cheval net, tandis que Gabriel, asseyant le sien sur ses jarrets, lui fit faire volte-face, «et j'ai trouvé bon, rejoignant mon adversaire en arrière, le saisir si rigoureusement par le bras, que l'autre ne songea pas à se défendre». Gabriel emmena son prisonnier par le bras jusqu'au camp. Là, on lui donna une pipe qu'il fuma sans descendre de son cheval, puis on lui dit qu'il pouvait s'en retourner, et il fuit à toute allure.
Longtemps après, Gabriel, s'occupant de mettre la paix entre deux nations, reconnut dans un campement son ancien prisonnier. Il y avait vingt ans de cela, mais le Gros Ventre avait parmi sa chevelure noire des mèches blanches qui le signalaient assez ; il était maintenant un grand chef de sa nation et s'appelait Dépouille de Bœuf. Ils se firent alors des démonstrations fraternelles.
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Il allait traiter de la paix dans un campement sioux (5) . En sortant de la tente où il était reçu, tandis qu'il sortait, penché, par l'étroite ouverture fermée d'une peau ballotante, un Sioux lui frappa la tête de l'extrémité du canon de son fusil, appuyant en même temps sur la détente. Par hasard, le coup rata et il en fut quitte pour une contusion. Les autres Sioux se ruèrent alors sur leur frère qui déhonorait leur parole et le chassèrent du camp à coups de pieds et de bâtons.
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En 1891, alors qu'il était aux Etats-Unis, il faillit être assassiné. Il était campé avec quelques autres Métis auprés. Il était seul dans sa tente. Pendant la nuit, il fut réveillé par un coup de couteau en arrière de l'oreille gauche. Il se leve, tâche de maîtriser son aggresseur. «Je ne voulais pas lui faire de mal, dit-il, il ne me choquait pas ; je lui disais, mais qu'est-ce que tu veux faire, dis ? Mais qu'est-ce donc que tu veux faire ?» Et Gabriel répète cela plusieurs fois ou ne se met pas en colère, seulement comme de la surprise de voir un homme se mêler de ce qui ne le regarde pas. Lui, Hercule physique, il considérait l'autre armé d'un couteau comme un maringouin qui voulait le piquer.
Cependant, l'assassin lui donne encore plusieurs coups dans le dos. Gabriel parvient à lui mettre le genoux sur l'épaule, et pendant qu'il va lui saisir enfin la main, le meurtrier, se débattant, lui fait deux lardasses dans le ventre, une très à gauche, au dessous des côtes, l'autre un peu plus bas, à gauche et au dessus du nombril. Chacune a bien quatre ou cinq pouces de long et ont des cicatrices très larges. Les blessures, en effet, étaient horriblement béantes et ce fut un prodige que la partie abdominale n'ait pas été atteinte. Alors Gabriel tenait son assassin en respect, sa main droite à demi dans la bouche, lui serrant la joue jusqu'à la gorge ; de sa main gauche il avait saisi le couteau à pleine poigne en se coupant les doigts. Ses voisins de tente arrivèrent au bruit. Comme ils voyaient Gabriel près d'étouffer son adversaire, ils lui dirent : «Lâche-le, lâche-le !» Gabriel le lâche et l'autre s'enfuit. Il suppose que c'était un homme alléché par la prime de $ 5000 promise pour sa tête par le gouvernement canadien.
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Il souffrit tout le temps de la guerre, à Fish Creek et à Batoche, après avoir crié toute la journée comme il le faisait, il avait la tête enflée le soir. En arrivant aux States, la blessure suppurait encore. Il se fit soigner. Il y a une entaille longue de deux pouces et profonde de trois-quart de pouces, juste sur le sommet de la tête. Il faut qu'il ait eu le crâne d'une épaisseur extraordinaire pour n'être pas tué. Les médecins lui ont dit qu'il avait une grosse artère coupée. Ainsi, même après la guérison, eut-il plusieurs fois des accidents. Quand il tournait fort, c'était comme si on lui avait[donné] un coup de marteau sur le crâne, et plusieurs fois il tomba en perdant connaissance, mais seulement le temps de tomber et se relevant immédiatement. Un jour même, il tomba ainsi dans une boutique de forge, la figure sur un tas de rognures de fer aigues, qui lui firent des entailles dans tout le visage. Depuis quelques temps, ces accidents ne lui arrivent plus, la circulation s'étant sans doute régularisée par des artérioles voisines qui, en se distendant peu à peu, ont pu remplacer l'artère coupée.
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Gabriel Dumont passa pour avoir été en France avec Buffalo Bill (7) . C'est faux. Il fut engagé avec Buffalo Bill, mais en Amérique avant 1889. Comme dans son voyage en Europe Buffalo Bill devait passer par l'Angleterre, il savait que Gabriel n'avait pas alors son amnistie : il(Gabriel Dumont) ne voulut pas le suivre. Buffalo Bill eut avec lui en France : Michel Dumas, Ambroise Lépine (frère du vieux Maxime Lépine et général à la rébellion de 1870, mais n'ayant point pris part à celle de 1885), Jules Marion (fils d'Edouard Marion), Maxime Goulet (frère de Roger Goulet, récemment mort au bureau des terres à Winnipeg). Michel Dumas et Ambroise Lépine ne restèrent pas longtemps chez Buffalo Bill. Ils étaient presque constament ivres et il les mit à la porte. Ambroise Lépine (Farget) prétend qu'on le prenait pour Buffalo Bill et que c'est par jalousie que celui-ci le remercia. Ils étaient sur le pavé, ils allèrent frapper à la porte du consulat canadien : Paris. C'est alors que Michel Dumas se fit passer pour Gabriel Dumont. M. Pierre Toussin, alors secrétaire du conseil du Canada, fut chargé par celui-ci de les présenter au général***, mais de la commune de Neuilly, sur les territoires sur lesquels était installé Buffalo Bill «Mon général, dit Pierre Toussin, je vous présente les généraux Gabriel Dumont et Lépine, à l'armée de la rébellion des Métis français au Canada. Le général s'intéressa à eux par bon sentiment de fraternité d'armes, et ce fut par son secours et celui du consulat canadien, que Michel Dumas fut ramené au Canada sous le nom de Gabriel Dumont. Ambroise Lépine fut ramené par le fils de Monsieur Ouimet, avocat à Montréal. Goulet fut aussi mis à la porte par Buffalo Bill ; son frère lui envoya de l'argent pour revenir. Jules Marion, qui était engagé pour construire un traîneau à chiens, fit seul son temps. Gabriel Dumont alla en France seulement en 1895, et il y resta près d'un an ; il ne quitta pas Paris. Il eut son amnistie en hiver 1886 (un an après les autres).
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1. Pour une biographie détaillée de la vie de Gabriel Dumont, voir Georges Woodcock : Gabriel Dumont : The Metis chief and his lost World, Hurtig Publishers, Edmonton, 1975. [retour]
2. Les Cris étaient traditionnellement les alliés des Métis ; ils étaient aussi les ennemis des Sioux, des Pieds Noirs et des Gros-Ventres. [retour]
3. L'enfarge était un objet qui servait à immobiliser les chevaux par les pieds. C'est un vieux mot canadien. [retour]
4. On sait qu'en 1862 Gabriel Dumont a accompagné son père, Isodore Dumont, au lac du Diable pour signer la paix avec les Sioux-Dakotas. [retour]
5. L'escarmouche du lac aux Canards se produisit le 26 mars 1885. [retour]
6. Gabriel Dumont participa en effet au West Show de Buffalo Bill Cody, mais pas plus que trois mois . Il joignit le West Show le 7 juillet 1886. [retour]
7. Les Métis envoyaient des pétitions pour faire valoir leur droit mais on dédaignait leur répondre. Par exemple en mai 1881 104 Métis signèrent une pétition dans laquelle ils demandaient les mêmes avantages qui avaient été accordés aux Métis du Manitoba en 1870, c'est-à-dire des bons-titres aux chefs de famille et des terres aux enfants ainsi que l'arpentage en bordure des lacs et des rivières. [retour]
Il part en avant avec Gabriel, Edouard et autres (il est parti en avant avec Edouard Dumont, dans l'après-midi). Ils arrivent de bonne heure à Duck Lake. Ils vont au store Mitchell, près du monticule. Il va avec Gabriel monter la garde sur le chemin de Carlton, avec J. Delorme, Baptiste Deschamp, pour aller guetter en avant. Patrice et les autres restent aux maisons de Sauvages à se chauffer, fumer et boire du thé. Gabriel revient avec ses prisonniers. Il va les conduire à Batoche, tandis que Patrice et autres restent. Gabriel revient, retourne guetter, et comme on ne voit rien, que le jour vient, tout le nombre retourne au lac Canard. On se met à déjeuner. On crie que la police vient. Patrice Fleury va à l'écurie et prend le cheval qu'il croit le meilleur, qu'on a pris au porteur de malle de qu'Appelle. Il va seul, le premier en avant. Seul un Sauvage le suit quelque temps, mais il le distance de beaucoup. Il aperçoit deux policemen qui s'en allaient au trot. Quand ils l'aperçoivent, ils se mettent au pas pour l'attendre. Il les rejoint, les policemen crient : «Arrête !».
Fleury [répond] :«Tom Mc Kay est-il là ?»
«Oui»
«Alors je n'arrête pas»
Il continue au galop. Les policemen se mettent à galoper devant lui. A la fin, un prend son revolver et le visant en arrière lui dit : «Si tu n'arrêtes pas je te tue !»
Fleury : «Tom Mc Kay est-il là ?»
«Oui»
«Et bien je n'arrête pas puisque je suis venu le voir !»
Un peu plus loin deux autres policemen sont en avant, qui parlent au grand galop, en avant, lorsqu'ils les voient. Les deux autres et Patrice suivent aussi au grand galop. Un peu plus loin, sur une hauteur, Patrice aperçoit douze sleights pleines de policemen. Quand on arrive à eux, Tom Mc Kay avance et dit : «Tiens ! Patrice ! Je ne pensais pas que je t'aurais jamais vu dans des affaires comme ça, mais on pourrait se donner la main encore une fois». (Il parlait en cri).
«Oui mon ami»
Ils avancent et se donnent la main. Patrice [demande] : « Où allez-vous comme ça ?
«Chez Kelly, chercher du pain».
«Tom revirez, vous n'êtes pas pour vous rendre là, car vous allez être arrêtés»
«Qui va nous arrêter ?»
«Des Métis et des Sauvages»
A ce moment, Patrice retourne la tête : «Tiens, vois-tu ce qui vient là-bas ? Des cavaliers à grand course, Jim Short en avant». Tom Mc Kay [dit] à Fleury : «Essaye de les arrêter qu'on se parle»
Fleury va en arrière pour les arrêter : ce sont Gabriel, Edouard et Jim Short. Fleury les arrête. Tom Mc Kay s'avance pour leur parler. Ils ne veulent pas.
Alors la scène [est] racontée par Gabriel [Dumont] : Quand les sleights partent, Patrice Fleury saute dans le derrière afin de couvrir de son corps les Anglais et d'éviter que les Métis ne tirent dessus. Il descend autour d'un arpent, sans avoir parlé aux policemen de la sleight. Il y avait environ cinq policiers dans chaque sleights. Patrice Fleury était alors porteur d'une carabine à quatorze coups qui, ayant éclatée, avait été coupée très court. Il l'avait à sa ceinture, dans un grand capot, on ne la voyait pas. C'était dans la même sleight que Edouard avait essayé de sauter, sans y réussir, quand Patrice Fleury sauta de sa sleight. Jim Short lui amena son cheval. Ils reviennent à Duck Lake, se remettent à table pour continuer le déjeuner. On crie de nouveau : «Voilà la police».
Patrice Fleury sort, mais dehors il trouve Riel qui lui dit en le tenant par le bras :«C'est bon M. Fleury, restez, vous en avez déjà assez fait pour aujourd'hui, allez déjeuner. Je te défends de sortir». Il va déjeuner. Plusieurs restaient aussi pour garder les prisonniers. Il est probable que Riel préférait qu'il reste, parce que Gabriel lui avait déjà dit qu'il les trigaudait. Ils étaient toujours dans la maison où ils n'entendaient pas les coups de fusil, mais tout-à-coup on entend les coups de canon. Il sort et entend alors toute la fusillade. Il fait atteler une sleight. Il va avec un jeune homme, quand ils partent on ne tire déjà plus. Mais il se dit : «Il doit y en avoir des tués, qu'il faudra toujours ramener». Aux premiers qu'il rencontre il demande :«Y a-t-il du monde de tué ?».
«Oui, un tel et un tel».
Il arrive au champ de bataille. Il voit d'abord Achiwin, (un Cri) blessé, qui n'est mort que le soir. Il continue sans le ramasser de suite. Puis il va ramasser d'abord Isodore Dumont, Augustin Laframboise, les deux Montour.
A l'annonce de la police, chacun soigne son cheval. Je n'en ai pas. Baptiste Parenteau vient d'arriver en traîneau, il lui demande d'aller avec lui, mais Baptiste Parenteau lui dit qu'il ne veut pas y aller ni prêter son cheval. Alors J. B Parenteau, fils de Baptiste Parenteau, dit à Ouillette : «Viens nous allons y aller ensemble». Et il prend la voiture de son père.
Ils rattrapent Riel et Gabriel qui sont arrêtés derrière un bluff avant de foncer jusqu'à l'ennemi. Riel dit :«Mes amis, écoutez mon oncle Gabriel, et lui, mon oncle Gabriel, va m'écouter». On donne le signal : les chevaux partent au galop. On voit la police qui s'apprête : Baptiste Deschamps est proche. Son cheval tombe, et il reste étourdi. Jean Baptiste Parenteau dit :«En voilà un qui s'est fait mal, je vais aller le ramasser». Ouillette descend. La police était le long de la clôture. On entendait Riel et Gabriel qui disaient : «Ne tirez pas les premiers !» Ouillette rencontre alors Vandal venant avec un cheval qui avait seulement une corde au cou en s'éloignant du champ de rencontre. «Donne-moi ton cheval» dit Ouillette. Il monte dessus. Au même moment le feu commence. Il va à la grande course pour gagner une petite étable et se mettre à l'abri. Comme il y arrive dans une sleight à côté, un Montour est tué. Ce Montour était en avant de la sleight, sur un cheval crème appartenant à André Letendre, et ce cheval resta immobile à la même place tout le temps, sans être atteint. Le deuxième Montour est tué peu après.
Les Métis crient :«Il faut les prendre comme des lièvres, les cerner !» Les Anglais se sauvent, quelques-uns veulent les poursuivre, mais la plus grande partie ne voulut pas, au reste Gabriel n'est pas là pour les entraîner.
Le soir on ramasse les corps des Anglais et on les fourre dans les petites maisons. Le lendemain on va à Carlton. Ouillette ramasse sur le champ de bataille le capot en castor du bourgeois Clarke. Trois ans après, devant lui, il le porte, et Clarke fait semblant de ne pas le reconnaître. Puis Ouillette le vend à Tom Davis, représentant actuel, pour un capot noir frisé et cinquante baril d'avoine.
Il est resté à Batoche. Des Sauvages ont cru entendre des coups de feu pendant la nuit. De bonne heure, dans la matinée, vers les 9 heures, il veut aller s'assurer. Il part à cheval avec Boniface Lefort. En face de la maison actuelle des Tourond, ils rencontrent Bruce qui a quitté les combattants du matin et dit qu'il n'y a rien (Il a déserté aux premiers coups de fusil). Alors ils le croient et retournent. Mais à peine ont-ils retourné qu'ils entendent le bruit du canon. Alors Edouard Dumont, vers les 10 ou 11 heures, repart avec Pierriche Parenteau, Moïse Parenteau, le vieux J.B Boucher, à eux quatre seulement, Boniface était resté cette fois chez Lenoir Parenteau, ils commencent à rencontrer des Sauvages qui ont fui. Ils ne veulent pas retourner à Fish Creek avec Edouard. Chez Ignace Poitras, ils rencontrent le vieux Filon et trois autres qui ne veulent pas retourner non plus. Ils continuent toujours les quatre mêmes. Puis ils rencontrent quatre Sioux, dont deux retournant avec eux. Enfin, passé midi, ils rencontrent Gabriel avec quatre ou cinq (hommes). Gabriel ne veut pas laisser Edouard aller plus loin : «On n'est pas assez de monde, il n'y a rien à faire». Il le fait revenir avec lui du côté de Batoche. Après qu'ils ont fait un bout, ils rencontrent soixante hommes à cheval qui étaient ceux de la rive gauche (le matin personne n'avait voulu partir avec lui) Gabriel dit encore que c'est inutile d'y aller. Mais un sauvage, nommé la Couverte Jaune, dit à Gabriel : «Mon oncle, il ne faut pas attendre le lendemain quand on veut aller secourir ses amis».
Edmond l'appuie :«Oui, je suis parti pour aller à leur secours, il faut y aller !».
Gabriel consent. On retourne par Fish Creek et on dit : «Maintenant, alors, personne ne retournera» Et Gabriel, Edouard et la Couverte Jaune marchent en arrière pour empêcher les désertions. On va chez Pierre Tourond où on nettoie les fusils. Dans la maison quelqu'un laisse tomber son fusil qui part sans blesser personne.
On part pour le champ de bataille. Alors le soleil est bas. On s'éparpille. Edouard Dumont, petit Jean Dumont, André Letendre, un Sioux, deux Cris, foncent tout droit aux Métis cernés. Edouard leur dit :« J'ai le meilleur cheval, laissez-moi passer le premier. En arrivant, ils voient les Anglais qui fuient de l'autre côté. Edouard crie : «Etes-vous toujours en vie ?»
« Nous ne sommes pas tous morts !».
Tous les autres arrivent. Edouard trouve dans la coulée la jument qu'il donne à son frère Elie. Charles Thomas qui a passé la journée dans l'eau est à moitié gelé. Edouard lui donne son capot. Il veut monter la côte du côté des Anglais. Charles Trottier veut l'en empêcher. Il y va tout de même : il n'y a plus un seul ennemi.
Il y avait un grand feu près duquel les Anglais soignaient leurs blessés. Il y ramasse une quantité de cartouches, trois ceintures avec les baïonnettes. Là aussi se trouve la grande boîte du médecin et un bon capot. Il crie à Petit Jean Dumont de venir défoncer la boîte. On y trouve trois bouteilles de Whisky et un pain. On va se chauffer chez les Tourond.
Il était capitaine. Il avait pour soldat Jérôme Henry, Pierre Laverdure (dit Beaublé) La Gloire Broyé, Pierre Henry, Léon Fergusson, Gilbert Breland, Isodore Villeneuve. Quand pendant l'apola, on apprend l'arrivée de la police, Berland et Isodore Dumas veulent aller au devant pour découvrir. Isodore montait une jument noire, mais Jean Caron fils lui dit : «Mon oncle, je vais y aller, vous avez une famille, vous, restez ici»
«Tu es trop jeune, dit Isodore Dumas, tu ne serais pas assez prudent»
«Je suivrai G. Breland» répond Jean Caron.
«Eh bien, si tu veux me promettre de le suivre, va». Ils partent. Quand ils reviennent, la jument de petit Jean Caron est tuée sous lui à la première décharge, près du bluff.
Tout à fait au début, Gabriel, Isodore Dumas et Saint-Pierre Parenteau montent pour voir la police. C'est là que ce dernier est tué. Ils se rasaient pourtant dans l'herbe, et les Anglais ne les voyaient pas. Mais ceux-ci faisaient pleuvoir au hasard une grêle de balles.
Quand ils furent rendus en haut de la côte, sur la prairie, Gabriel dit :«Ils tirent là pour rien. Il faut empêcher les nôtres de tirer. C'est de la peine perdue». Un policeman s'avançait à pied, tenant un cheval à la main. Ils le tuent. Ils retournent aux leurs dans la coulée. C'est là que Vermette est tué. Napoléon Nault qui était dans la coulée avec les sauvages, vient dire : «Monsieur Dumont vous devriez aller là-bas car les sauvages veulent s'en aller». Gabriel y va. On l'entendit tirer quelque temps. Thom Ourie leur crie alors : «Vos associés se sauvent, vous devriez vous rendre». Dix voix, lui répondent ensemble : «Mange de la merde !»
Quand on fut cerné, Isodore Dumas dit à Breland : «J'ai peur»
«Non, lui répond ce dernier, tu n'as pas peur, ta figure ne change pas»
«Si je chantais», dit Isodore»
«Oui, ça donnerait du courage». Et il chante. Tous lui répondent par des hurrah ! Pendant qu'il chante Acanmacini (ceci est la bonne orthographe) se met à danser.Au même moment on lui crie : «Ton cheval est tué.»
«Qu'est-ce que cela, dit-il, un cheval. Tant que je ne suis pas blessé, moi, il n'y a pas de mal.».
Jim Short, d'après ses compagnons, se battait comme un fou. On le vit tirer à genoux sur la prairie, à découvert. Au moment où Jérôme Henry fut blessé, Isodore Dumas lui criait : «Tu te montres trop».
G Breland se battait avec sang froid. On entendit qu'il était à l'ouvrage. Il était aussi courageux que Jim Short, mais plus prudent. Isodore Dumas et Joseph Delorme criaient sans cesse :«Hurrah !»
Dans l'après-midi, Joseph Delorme épuisé de fatigue s'endormit en criant : «courage !». Un petit Boyer blessé, mort le soir à 9 heures criait :«J'ai soif !» Isodore Dumas dit à Maxime Dubois : «Va chercher de l'eau dans ton chapeau et porte lui à boire», mais comme Maxime Dubois ne bouge pas, Isodore Dumas va en chercher lui-même dans la coulée. Le blessé dit : «Ça me fait du bien ! Mais j'ai froid». Isodore va chercher une couverture qui est sous la selle du cheval de Pierre Laverdure et couvre le blessé. «Vous ne me laisserez pas là» ajoute-t-il. Isodore lui promet que non. Il avait une balle qui avait traversé la poitrine de part en part, en dessous du sein gauche. Il était dans l'eau quand il avait été blessé.
Tout à fait à la fin de la journée, Michel Desjarlais dit : «Je n'ai plus de cartouches, mais Charles Trottier en a qui vont à ma carabine, je vais aller lui en demander»
«Va, dit Isodore Dumas, mais fait attention»
Il va à Charles Trottier qui lui donne en effet quelques cartouches, mais en revenant il est blessé d'une balle dans la tête. Isodore Dumas ne le voyant revenir, dit : «Je vais aller voir».
Il le trouve qui se tenait à quatre pattes. Isodore le retourne sur le dos. Il se retourne de nouveau et se met à quatre pattes. Il avait une balle qui lui avait (traversé) la tête en arrière des oreilles.Alors il le laisse et va à Charles Trottier pour lui demander des cartouches pour la carabine de Michel Desjarlais dont il veut se servir. Charles Trottier lui dit que déjà il les lui a données. Il retourne à Michel Desjarlais et prend sa carabine et ses cartouches.
«C'est Fish Creek qui a été la journée la plus dure, dit Isodore Dumas. A Batoche, on savait qu'on pouvait se sauver. Mais là, on était cerné dans un trou. Je peux bien dire que j'ai eu peur».
Quand ils disent qu'ils ont eu peur cela veut dire qu'ils ont eu la notion du danger qu'ils couraient. Quant à être affolés ou paralysés par la frayeur, s'il y en eut, il y en eut peu parmi ces quarante-cinq héros.
On vit souvent des petits détachements surpris par des troupes dix ou vingt fois plus nombreuses, mais souvent ce furent des soldats bien armés, pas des tribus sauvages; mais bien armées, tout au plus, dans les exemples de l'histoire, les deux troupes étaient-elles armées également, mais là ce sont quarante cinq chasseurs munis de leurs fusils ordinaires qui sont cernés par huit cent cinquante hommes guerriers armés militairement, avec des fusils portant à deux cents verges, [avec des] canons, et à leur tête le général en chef des forces du gouvernement
Les premiers qui arrivèrent au champ de bataille le soir, quand ils vinrent au secours, furent : Joseph Arcand, sur la petite grise à Napoléon Nault, Moïse Ouillette, Edouard Dumont, Daniel Ross.
Au dernier jour, il n'y avait que trente combattants le matin, quinze à midi, trois le soir. (Le) quatrième jour de la bataille, les Anglais partent de l'église, ils reculent, ils reviennent sous l'impulsion du Père Végreville. Vers midi les Anglais arrivaient chez Challius et prenaient la maison de Batoche. Daniel Ross se trouvait dans la côte, il dit : «Attendez. Vous allez voir comme je vais en tuer quelques-uns.» Il tomba blessé en même temps. Un Métis qui l'a vu tomber, rencontre la femme de Daniel Ross en fuyant dans la côte et lui dit que son mari est blessé. Elle va vers lui au milieu des balles, il lui demande à boire; elle va lui chercher de l'eau à la rivière, il boit et il expire. La femme se retire et retourne se cacher dans le bois de la côte. Quand les Métis relevèrent ensuite le corps de Daniel Ross, il était criblé de coups de baïonnettes. Les Anglais ayant essayé de savoir qui avait tué le capitaine French, on avait désigné un mort, Daniel Ross, et ils s'étaient vengés sur le cadavre.
Joseph Vandal se trouvait aux côté de Ross. Il veut aussi tirer sur la maison. Il est frappé au bras et la balle sort en arrière de l'épaule. Il lâche son fusil, se sauve et va mourir sur l'emplacement actuel du champ de la fête.
Emile Champagne se trouvait aussi là. Il longe le chemin de la côte pour se rendre chez lui. Le vieux Ouïllette était aussi tué en même temps au même endroit. Emile Champagne se rend dans sa maison. Mais les boulets y pleuvaient. Il sort de l'étable ses trois beaux chevaux, il en avait cinq à l'enfarge au près, il les prend tous et va camper en arrière de la maison du vieux Parenteau (avec Jean-Baptiste Parenteau). Le lendemain matin il va voir Middleton pour lui demander comment vont les choses. Middleton le fait prisonnier.
En même temps qu'une partie des Anglais descendait par chez Charles Thomas, une autre descendait directement sur le store de Batoche. Là furent tués les deux Tourond, Damas Carrière, André Letendre.
En sorte que tous les Métis tués ce jour-là, ne le furent pas présisément dans la bataille, mais au moment où les Anglais étaient décidément vainqueurs, alors que presque tous les Métis étaient en fuite, et ce ne furent que des entêtés d'héroïsme qui voulurent se battre jusqu'à la mort, alors qu il n'y avait plus même l'illusion d'un espoir. Cer derniers furent tués à dix verges, comme des lapins qu'on tire dans les jambes. Trottier fut seulement blessé et on retrouva son cadavre chez Caron. Damas Carrière fut prit pour Riel. Les Anglais l'attachèrent par la tête avec un câble et le traînèrent.
Les Anglais étaient arrivés aux Tournond et autres en se glissant dans le bois et ils avaient débouché sur eux à l'improviste. Ce fut pendant la troisième journée que les Anglais brûlèrent les maisons entre l'église et le vieux Parenteau (près d'Edouar Dumont).
Le soir de la première journée on poursuit les Anglais jusqu'à l'église. On rentre même chez le père Moulin, mais qui en fait pas grande façon : «Qu'est-ce que vous faites là ?», dit-il.
«Eh ! On se défend, on se replie et on passe la nuit dans les trous».
Deuxième journée. Un peloton d'Anglais viennent à cinquante verges faire tirer sur leurs chapeaux. Ils se cachent au fond des trous et mettent leurs chapeaux au bout de leur fusil, émergent des petites branches. Alors les Anglais font un feu de salve. Puis aussitôt les Métis se haussent dans leur trou, tirent à leur tour, puis se rejetant eux-mêmes au fond, agitent leurs chapeaux émergeant à peine des petits branchages. Toute la journée ils jouent cette comédie en sorte que les Anglais, qui ne doutent pas du succès de leur tir, sont persuadés qu'ils en tuent à chaque fois, un ennemi qui se renouvelle sans cesse.
Quatrième journée. C'est à deux heures de l'après-midi que l'attaque se fait plus offensive. Les Anglais, paraît-il, voulaient se retirer jusqu'à la montagne pour attendre du renfort, mais le père Vigreville leur dit : «Ne les laissez pas maintenant, car ils sont à bout de munitions, ils vont recevoir des renforts et vous n'en viendrez plus à bout ensuite».
Pierre Henry se trouvait alors sur le chemin de la rivière descendant à Batoche, avec Elzéar et Callixte Tourond, Isodore Villeneuve, Pierriche Parenteau, Damas Carrière (André Letendre, le frère de Batoche, dit Céleste). A ce moment quelques autres, déjà repoussés de leurs trous, viennent les rejoindre : Joseph Delorme, Louis Ross, Baptiste Rochelot père, Modeste Rochelot. Quand les Anglais sont trop proches, ils sortent du trou et se jettent dans une petite coulée. Mais Joseph Delorme qui s'est tenu trop à découvert dans le terrain plat est blessé. Jim Short l'emporte à travers les balles sans être blessé.
On résiste quelque temps dans cette coulée. Mais les Anglais arrivent de toutes parts et vont les entourer. On se décide à fuir. Les deux Tourond et André Letendre sont tués en se sauvant, ils fuyaient tous en tas et les balles tombaient parmi eux comme des pois qu'on leur eut jeté à poignée Damas Carrière est tué aussi alors.
Tandis qu'ils se battaient dans la coulée, Michel, à quelque distance creusait un trou avec son couteau au pied d'un grand tremble.«C'est ici la bonne place», disait-il,
«Bon ne reste pas là, lui crie-t-on, tu vas te faire tuer». Ce fut sans doute là qu'il fut tué.
Quand ils furent hors d'atteinte, se dirigeant du côté d'Emile Champagne (les Tourond étaient descendus vers Batoche, trop à découvert), Pierre Henry s'en alla tranquillement au pas. Il rencontre Isodore Boyer qui avait déjà la main blessée. Ils s'en vont ensemble, toujours dans la même direction. Isodore Boyer reçoit alors une balle dans les reins.
«J'entendis péter les balles dans son dos», dit Pierre Henry, et je lui dis : «Cette fois-ci, je crois qu'ils t'ont tué».
«Oui, je pense aussi».
Néanmoins, Pierre Henry le soutient et il peut se rendre jusqu'à une tente au hors de la pente de la rivière. «J'ai soif», dit Boyer.
Pierre Henry cherche de l'eau sans en trouver. Puis comme il avait soif lui-même, il descendit jusqu'à la rivière. Il ne revit pas Boyer.
Il avait fait cacher ses chevaux. Il rencontra son fils et ils allèrent les chercher. Ils les trouvèrent, mais il n'avait ni couvertures, ni capot, ni nourriture. «Allons chercher de la grobe au camp des Sioux», dirent-ils. Ce camp était sur le bord de la rivière. En arrivant chez le vieux Champagne, comme il faisait nuit, il voit soudain Gabriel Dumont au coin d'un hangar : «Que fais-tu là ? lui dit-il
«Ah ! s'écrie Gabriel ! J'ai failli te tuer. Il y a longtemps que je te guette là, je te prenais pour un policier et je ne sais pas comment je t'ai laissé venir jusqu'ici».
Ils vont ensemble au camp des Sioux, au bas de la côte, en face (de chez) Champagne. Ils y trouvent un cheval tout sellé, mais un vieux cheval fatigué butant à chaque tas. Ils prennent une loge qu'ils lui mettent sur le dos, ainsi qu'un sac de farine, un paquet de viande boucanée, ils prennent aussi une chéière et un plat. Ils rôdent une partie de la nuit avec Gabriel et son petit garçon. Gabriel les laisse. Il campe auprès de la clôture des Gervais, avec son fils et deux de ses neveux. (voir le lendemain, à la scène après la bataille de Batoche).
Les trois premiers jours, tantôt on poussait des charges sur l'ennemi, tantôt il fallait à son tour fuir à la course.
Quatrième journée. Il est dans un trou près du cimetière avec Philippe Gariépy, deux petits Lavallée, Elzéar Parisien, un Cri, etc (huit en tout). Poussés par les Anglais, ils descendent la côte, et rencontrent une grosse troupe de Métis et sauvages. Ils se sauvent plus loin, les Anglais approchent toujours. Ils s'arrêtent dans la coulée près de Charles Thomas et s'y défendent assez longtemps. Les Anglais arrivent toujours. Alors Edouard voit, à leur gauche, les ennemis qui sont déjà presque au store de Batoche. Ils craignent alors d'être pris entre les deux : il faut se sauver. On s'arrête à l'écurie de Batoche. Mais la police arrive toujours au pas, et d'autre part elle arrive au store Batoche. On descend dans la côte. Un instant après il la remonte avec Elzéar Parisien pour voir ce qui se passe : la police occupe la maison Batoche. Ils redescendent pour remonter vers le magasin Fisher. Les Anglais sont au store de Batoche et toute la prairie est pleine de capots rouges et noirs (police et volontaires). Il a soif, il va chercher de l'eau à une source près du vieux Champagne. Il en rapporte dans une petite cantine qu'il avait à sa ceinture. En passant près des tentes, Isodore Boyer qui est dans une, l'appelle pour boire. Il lui en verse dans une tasse et ressort. Il a vu sa famille près du vieux Champagne. Il lui dit de rester, qu'il reviendra la prendre là s'il ne se fait pas tuer.
Il redescend la côte. Il arrive à Daniel Ross blessé que son neveu tâche de traîner par un bras. Le neveu appelle Edouard pour l'aider. Quand Edouard le prend par l'autre bras, le neveu se sauve, car les balles tombent autour d'eux. Ross est gros, Edouard ne peut le traîner seul. Il appelle Pierre Sans-Regret qui descendait. Ils le traînent péniblement. Déjà Ross ne parlait plus. Sans-Regret dit : «Il est mort, ce n'est pas la peine de se faire tuer pour lui».
Ils étaient entre le grand chemin et la maison Batoche. Ils l'abandonnent.
Il retourne du côté du vieux Champagne et s'y arrête un peu. Il y a là un Sioux appuyé sur son fusil debout. Une balle frappe sa main qui tenait le canon du fusil, à hauteur de la poitrine. Edmond le croit mort. «Non, dit le sauvage, en secouant seulement sa main ensanglantée, la balle s'est arrêtée sur le canon de mon fusil».
Riel est en dessous du vieux Champagne. Tout le monde est là maintenant. Il monte la côte vers la maison d'Ambroise Champagne. Il y avait là seulement quelques sauvages. Edouard avait une longue-vue, qu'il possédait depuis la chasse aux Buffalos. Il s'installe dans un trou. Gabriel vient le rejoindre. Ils tirent les policemen qui viennent prendre les chevaux chez Champagne. Ils y sont rejoints par Carbatte Fraguau. Edouard a un fusil de la police et beaucoup de cartouches. Il tire presque seul, car Gabriel ménage les siennes. Il commence à faire brun. Edouard redescend la côte. Tout le monde est parti de là, sauf sa famille. Ils s'en vont, passant près de leur maison. A côté ils trouvent Riel qui empêche Edouard d'aller prendre les chevaux qui sont à son étable. (voir la suite après Batoche).
Caron et sa famille, quelques jours après la reddition de Batoche se trouvaient chez Azarie Gareau, à Bellevue. Passe une colonne anglaise. Parmi les chevaux, Mme Caron reconnaît une de leurs plus belles juments qui se trouvait au large et qui était alors sellée et servait de monture à un médecin. Mme Caron va droit à la bête, la desselle et s'en empare. Les Anglais, ébahis, la laissèrent faire. Puis, comme ils voulaient se rendre à la traverse de Gardupuy (qui n'existe plus aujourd'hui, à six milles plus bas que Saint-Laurent), ils demandèrent à Mme Caron de leur prêter la jument jusque-là, ils lui demandèrent même de laisser venir avec eux son fils, Patrice Caron, qui devait leur indiquer le chemin et ramener la jument. Mais arrivés là, la jument fut embarquée avec le reste dans le steamboat et toute réclamation fut vaine.
Dans cette colonne, la famille Caron reconnut aussi bon nombre de chevaux de Batoche et des Tourond, également capturés dans la prairie. Mme David Tourond accoucha dans la nuit du 30 avril au 1er mai, en tente, dans la côte de la traverse de Batoche. Elle était seule avec sa belle-mère. Leur terreur était telle qu'elles n'osaient même pas avoir de lumière pour ne pas attirer l'attention de l'ennemi. Cependant, elle se décidèrent à allumer et l'enfant naquit, heureusement, dans ces tragiques circonstances.
Pendant la bataille, c'est-à-dire neuf jours après, à chaque instants les femmes changeaient de place pour se soustraire au feu de l'ennemi, se cachant derrière les arbres ou dans des trous humides. Après la bataille, se promenant parmi le butin fait par l'ennemi, elle reconnut une des ses malles qui contenait précisément du linge dont elle avait besoin. Elle voulut s'en saisir. Des soldats la repoussèrent brutalement. Mais comme elle parlait très bien l'anglais elle discuta avec eux et leur répondit vertement. Arrive un officier qui s'enquiert de l'affaire. Elle lui explique que venant d'avoir un enfant elle n'avait aucun linge pour se changer et que cette malle qui était à elle contenait tout ce dont elle avait besoin. L'officier la lui donna aussitôt et, paraît-il, punit sévérement les soldats qui avaient été grossiers envers elle.
David Tournond ne s'était pas livré tout de suite. Il voulait aller se livrer à Prince Albert. Il rencontra le père André qui venait de Prince Albert et lui dit : «Ne te livre pas, va-t-en de l'autre côté des lignes».
Le store et la maison d'Emile Champagne furent pillés par les Anglais après la bataille. On prit notamment sa voiture couverte qui valait 200$, ses harnais qui en valaient 100$ et ses chevaux qui n'avaient pas de prix. Il avait le plus bel attelage du pays, on parle encore de ses chevaux, en plus de Team, splendide, il avait un cheval gris qui était hors pair et qui fut emmené, ainsi que la voiture et les chevaux, par Middleton lui-même (confirmations de la lettre du père André). Emile Champagne perdit là environ de 18 à 20 000$.
Quand le vieux Champagne alla voir Middleton le lendemain matin, ce dernier lui dit : «Vous n'avez pas honte de tirer sur les gens de la Couronne»
«Je ne suis pas plus lâche qu'une poule, répond Champagne, quand une poule a ses petits sous ses ailes, elle les défend. Nous aussi, nous défendons nos femmes et nos enfants».
«C'est bien, dit Middleton, vous irez faire un tour à prince Albert puis à Régina».
Michel Dumas était cherché par la police. Il se trouvait campé avec la famille de Baptiste Boyer. Deux policemen s'approchent. Tandis que l'un causait et regardait avec les gens, l'autre va justement à la campe de M. Dumas. Il avait une tente et une hutte de feuillage à côté l'un de l'autre. A ce moment il se trouvait sous la hutte de feuillage. Le foin était haut alentour. Il se glissa hors de son abri et rampa dans l'herbe presque sous les genoux du policeman qui ne l'aperçut pas.
On pilla la maison de Baptiste Boyer à Saint Laurent. Il y avait beaucoup de pelleteries dans le grenier. La police, en quittant de là, se rendait à Prince Albert par Saint-Louis, et tout le long du chemin presque jusqu'à Saint-Louis, les policemen s'amusèrent à couper les fourrures par petits morceaux, le chemin était jonché sur douze milles, de castor, de loutre et de vison. Ce fut le gouvernement qui paya cela. Francis alla camper chez Fenian et là, ils attendaient qu'on vint les faire prisonniers le lendemain matin. Ils soignaient Daniel Gariépy.
Daniel Parenteau avait perdu l'équilibre de sa raison par suite d'une chute de cheval à la chasse au Buffalo, puis, un fusil ayant éclaté et lui ayant blessé le bras, sa raison était devenue presque perdue. Le lendemain de la bataille de Batoche, il se promenait avec son fusil chargé, n'ayant pas d'idée qu'il y avait eu une rébellion. Les soldats anglais le rencontrèrent et le firent prisonnier. Saint-Germain après avoir caché son fusil revient le lendemain à Batoche, il se promène librement, personne ne lui dit rien, au lieu que tous ceux qui ont voulu aller à Middelton ont été faits prisonniers.
Middleton fit creuser un grand trou devant le store de Batoche et y mit toutes ses fourrures. Il y en avait pour plusieurs mille piastres. Mme Georges Fisher fut témoin. On ne les déterra jamais. Batoche avait droit à une grosse indemnité et il craignait sans doute de ne pas l'obtenir s'il retrouvait des objets qui, du reste, pensait-il, seraient détériorés. Un an ou deux après, il crut sans doute que ses fourrures ne valaient plus la peine de les chercher.